amener une seconde couche de narration par le son
pour aller plus loin :
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L'ultimu Sognu, de Lisa Reboulleau, à voir gratuitement sur KuB
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Images Documentaires n°59/60, 4e trimestre 2006 et 1er trimestre 2007
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La Revue Documentaires n°21 – Le son documentaire, 3e trimestre 2007

PC : Il y a un moment qui est un peu le morceau de bravoure du montage sonore : c'est la séquence d'archives. Je me suis amusé à essayer de répertorier tous les sons que je pouvais remarquer : des souffles, des cris d'animaux lointains, des cloches, des craquements, le bruit du du tonnerre de l'eau qui coule, des grognements, des boums, des craquements de feu, des froissements, des frottements, des bruits de pas...
Est-ce que ce sont des sons enregistrés sur place, ou bien vous êtes vous dit rapidement que vous aviez une grande marge de manœuvre pour aller chercher des sons venus d'ailleurs ?
AL : En effet clairement sur la séquence d'archives je pense qu'il n'y a pas beaucoup de sons du tournage. De nouveau, sur cette séquence je pense qu'on est beaucoup reparti du précédent film de Lisa. Après, il y avait quand même l'envie de parler de cette chasse, et du danger et du sauvage et de tout ça. Il y a aussi l'idée de vouloir aider un peu l'image par moment, avec les bruits de feux, etc. Et après il y a un jeu rythmique, purement rythmique : il y a plein de moments où on se joue complètement des coupes à l'image, et qu'on coupe le son un peu où on veut, ce qu'on fait quand même assez rarement en général. C'est sûr que c'était une chouette part de liberté à ce moment là d'amener une seconde couche de narration par le son, et de faire vivre cette tension, cette chasse mythique.
PC : Il y a un mot qui me venait en tête, c'est « inquiétude ». Je trouve vraiment qu'il y a une inquiétude omniprésente dans toute la bande-son.
AL : Oui il y a un peu de ça. Je ne sais pas à quel point ça a été formulé avec Lisa, mais c'est venu assez naturellement. Pour la partie de chasse, elle voulait quelque chose de vraiment inquiétant. Souvent on a l'impression que des gros sons graves alourdissent la chose, et amènent du danger, mais j'ai l'impression qu'avec toutes ces petits sons aïgus, ces petites matières de frottement, on crée une tension au niveau de l'oreille qui est plus stressante parfois que des éléments un peu lourdingues.
PC : Le son de la chouette a-t-il été enregistré là-bas ? Ou bien recréé en studio ? Il y a beaucoup d'écho j'ai l'impression.
AL : C'est une vrai chouette corse, issue des prises de son de Lisa. J'utilise souvent des sons que je ralentis considérablement. C'est cette chouette qu'on entend, ralentie de différentes manières.
PC : Il y a un moment où on voit vraiment que c'est le son qui porte la focalisation subjective du personnage. Vers la fin du film, on le voit assis dans sa cuisine.
À l'intérieur, on s'attendrait à une ambiance plus assourdie, domestique, mais l'ambiance de la « forêt fantastique » continue au même niveau que dans les séquences d'avant. Et paradoxalement c'est précisément quand le personnage sort de sa maison que ce son de forêt fantastique s'arrête. Donc là on voit vraiment que l'ambiance sonore n'est pas du tout liée aux lieux qui apparaissent à l'image, mais que c'est vraiment une focalisation subjective du personnage.
AL : Disons que ça s'entend vraiment à la fin parce que c'est le seul moment où on se retrouve avec lui, dans son quotidien, dans sa maison, et qu'on sort de l'élément forestier. Et puis là on a affirmé en effet cette coupe en plein milieu d'un plan sur l'extérieur, du coup la chose est vraiment notable, mais en fait tous les films avec des récits permettent des déviations de ce genre. Dans la séquence qui précède il y a déjà un peu ce procédé qui est là mais comme on est en extérieur on s'en rend peut être un peu moins compte. On est avec lui à l'extérieur avec ses chèvres, et puis il commence à nous raconter une histoire où il marche sur un chemin caillouteux, et progressivement, par la bande-son, on commence à partir avec lui dans ce chemin. Le glissement, à ce moment là, est subtil, mais vers la fin de la scène on est complètement plongé dans son récit.
Pour revenir à la scène dont tu parles, on pourrait dire que c'est en sortant de chez lui qu'il se réveille et qu'il retrouve la réalité de son quotidien. C'était une manière de le notifier un peu plus franchement à la fin mais finalement tout le film est un peu sur ce régime là : on fait de légers aller-retours d'une ambiance sonore à une autre.

PC : Pouvez-vous nous parler des conditions d'enregistrement de la voix-off ?
AL : Lisa avait prévu dès le début d'enregistrer la voix de Paul sur place et on avait réfléchi ensemble au dispositif et au matériel. En cherchant l'endroit le plus neutre, le plus mat qu'on pouvait trouver, où il n'y aurait ni trop de bruit extérieur, ni la résonnance d'un intérieur de maison, on a pensé à sa voiture. Une grande majorité des voix ont donc été enregistrées dans sa voiture, sur place. Après, la voix a été extrêmement montée par Lisa. Elle est retourné une seconde fois pour refaire des prises de voix avec Paul. À ce stade Paul s'était pris au jeu, elle pouvait lui faire répéter des choses. Elle l'a un petit peu poussé dans ses retranchements au niveau de la voix-off pour avoir ce qu'elle voulait. Autant au début c'était vraiment du récit – et la narration de cette voix s'est créée par le montage de ces récits - autant à la fin il y a eu une dernière session où elle avait besoin de certaines choses pour aider au montage et il a accepté de faire l'acteur.
PC : On sait qu'en montage image, ça arrive parfois, à force de chercher des choses, de voir d'un coup des plans qu'on n'avait pas vraiment regardé jusque là, et de tomber sur une image qui se révèle opportune à ce moment du montage. Est-ce qu'il y a de la même manière des surprises ou des découvertes en cours de montage son ?
AL : Oui il y a plein de surprises tout le temps ! En fait le film a été monté en deux fois. Il y a eu un premier montage, puis un premier montage son, parce que comme je disais le film avait besoin de son pour avancer. Il y a eu ensuite une pause de plusieurs mois dans la post-production avant la reprise du montage. Pour faciliter le travail à Lisa et à sa monteuse, à la fin du premier montage son, je leur avais fourni non pas juste un pré-mix stéréo du montage son, mais plusieurs pré-mix avec les directs, les ambiances, les effets... tout ça séparé, pour être un peu plus flexible dans le son au moment du remontage.
Pendant ce deuxième montage elle en ont donc profité pour déstructurer un peu les choses : aller chercher des sons qui étaient associés à certains plans au premier montage pour les mettre complètement ailleurs. Donc déjà il y a eu cette surprise là : j'ai redécouvert le film avec des éléments que j'avais pensé pour certaines séquences, et qui se retrouvaient à d'autres moments. Cela créait déjà des choses intéressantes. Ensuite moi au cours du montage son c'est assez permanent de tomber sur des surprises. Quand j'ai une idée, quand je cherche une texture, quand je cherche diverses choses, je fais une recherche par mot-clé. Pour la même séquence je vais empiler cinq, six, sept sons, faire toutes sortes de mélanges. Il y a un peu de hasard là-dedans. Des fois il y a des choses qui marchent, des fois non. J'aime bien travailler vite et sauter du coq à l'âne. Je ne travaille jamais de manière chronologique, je vais chercher un son sur une séquence qui va ensuite me faire penser à une autre séquence. Je vais faire des croisements en permanence, et petit à petit la chose va se construire comme ça.
En parlant des surprises, c'est là que le mixage apporte aussi quelque chose d'intéressant, surtout quand on prend le temps de laisser un peu de temps entre le montage son et le mixage. Au mixage on a le luxe d'avoir une nouvelle étape de test, où sur une séquence donnée ça peut être intéressant d'enlever complètement un élément qui nous paraissait indispensable jusqu'à maintenant, en se rendant compte que ça marche très bien sans. Le mixage permet de resculpter toute cette matière qui nous semblait indispensable à la fin du montage son. L'économie de ces productions fait que c'est au mixage que les réalisateurs voient pour la première fois leurs films en grand. À ce moment-là, on redécouvre le film. En terme de rythme et donc en terme de choix à faire, ça change beaucoup de choses.
PC : Quand se dit-on que le montage son est terminé ?
AL : Cela dépend beaucoup des réalisateurs. Et ça se fait assez naturellement. Ensuite il y a toujours des séquences qui posent plus question que d'autres. Tout comme au mixage il va toujours y avoir une chose qui va nous poser problème jusqu'au bout et qu'on essaiera de résoudre. Mais de mémoire, sur ce film là, c'est la séquence d'archives qui nous a pris pas mal de temps et sur laquelle il y a eu beaucoup d'aller-retours. Sur le reste, il y a des évidences qui sont venus plus vite.
Chaque réalisateur va avoir un élément qui va rester un point de focalisation. Toutes les
séquences où où il y a les chiens au loin, et le sanglier mort, tout ça c'était des trucs hyper importants pour Lisa ; comment amener ce moment-là, comment justement sortir de ce son pseudo-réaliste pour aller vers le rêve ?
PC : Est-ce que vous envisagez le montage son un peu comme une partition ou bien est-ce que cette comparaison n'est pas pertinente.
AL : Oui si on entend partition en terme de partition rythmique. Surtout sur ce film où on a beaucoup d'éléments discrètement percussifs, comme sur la séquence avec les ânes, avec des sortes de battements un petit peu étranges.
PC : Ces battements, c'est un instrument de musique ?
AL : De nouveau, c'est un ralenti. C'est un son de piano au ralenti. J'utilise beaucoup un magnéto à bande et je ralentis plein de choses. De mémoire il y a aussi un autre son extrait du film précédent de Lisa, un petit battement, très léger, qui avait été un son très important du précédent film et qu'on a voulu retrouver sur certaines séquences. Tous ces éléments-là je les vois plus comme une manière de densifier, de rythmer le film. Je n'irais pas jusqu'à la partition au sens musical de la chose ; c'est plus une question de densité, de temporalité de ces séquences. Sur un film comme ça quand elles arrivent vierges, elles peuvent donner l'impression d'être très longues. Mais finalement ça se joue à pas grand chose : quelques sons, un peu d'épaisseur, un peu de rythme, et d'un coup ça peut aller presque trop vite.